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Archive for juillet 2011

Des éclairs

« Le pigeon, pourtant.

Le pigeon couard, fourbe, sale, fade, sot, veule, vide, vil, vain.

Jamais émouvant, profondément inaffectif, le pigeon minable et sa voix stupide. Son vol de crécelle. Son regard sourd. Son picotage absurde. Son occiput décérébré qu’agite un navrant va-et-vient. Sa honteuse indécision, sa sexualité désolante. Sa vocation parasitique, son absence d’ambition, son inutilité crasse.

Incomparable au moineau qui détient du charme, au merle qui sait donner de la voix, au corbeau qui n’est pas sans classe, à la pie qui possède un style, pire que le charognard qui a au moins un but dans la vie, aussi sensuel qu’un rat, aussi racé qu’un taon, moins élégant qu’un ver, encore plus con que le catoblépas.

On tuerait un pigeon sans guère plus d’états d’âme qu’on écrase une blatte, il est cependant si nul qu’on s’en abstient. Par paresse ou par amour-propre, on se retient de lui donner un coup de pied sauf pour prendre un peu d’exercice et encore, il n’en est pas digne, on ne voudrait pas risquer de souiller son soulier. Et qu’on ne m’objecte pas que, voyageur, il a rendu quelques services en temps de guerre, encore heureux qu’il ait trouvé un tout petit rôle de mécanique volante.

Saleté de pigeon, même pas bon à manger, écœurant sur son lit de petits pois farineux. »

Extrait du roman « Des éclairs », de Jean Echenoz, Editions de Minuit, pages 142 et 143.

J’adore ces petites méchancetés gratuites, cinglantes, perfides, bien balancées. Elles m’amusent particulièrement et je les ai dégustées avec plaisir.

Ces deux pages me sont destinées, c’est un message personnel. Aucun doute, Jean Echenoz a visité mon blog ! Il a voulu m’avertir, me mettre en garde, m’ouvrir les yeux sur la vraie nature des pigeons. Difficile d’oublier Jojo mais la cohabitation avec lui étant vite devenue impossible, j’avais dû lui couper les vivres. Jean Echenoz m’exonère aujourd’hui de tout scrupule. Je lui en suis très reconnaissante. A la parution de mon post, on m’a également rappelé que nourrir les pigeons des villes est réprimé par la loi.

« Des éclairs » n’est pas un livre sur la vie et les mœurs des pigeons. Ce roman raconte la vie de Gregor, inventeur de génie, mais aussi personnage excentrique, dandy, ombrageux, méprisant, susceptible, cassant (qui) se révèle précocement antipathique et finit sa vie dans la misère, entouré de pigeons.

Ce personnage de fiction est inspiré de la vie de Nikola Tesla (1856-1943), inventeur et ingénieur américain d’origine serbe.

« Des éclairs » est le dernier volet d’une trilogie dont les deux précédents sont « Ravel » et « Courir » consacré au marathonien Emil Zátopek.

Jean Echenoz

Nikola Tesla

Dans mon jardin  : pigeon chapardant la nourriture destinée aux mésanges, moineaux et rouges-gorges.

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Il pleut

Moi, je m’accommodais fort bien des patches jaunes de la pelouse assoiffée et des feuilles sèches qui tombaient du tilleul. La pluie, c’est pas mon truc.
C’est du soleil que je veux !

Petite stratégie anti-pluie :

Vite, profiter d’une accalmie pour prendre le thé sur la terrasse avec un livre.

Retrouver le soleil… dans la cuisine (tomates – poivrons – feuilles de menthe – radichetta)

Petit clin d’oeil à la ratatouille thérapeutique de Philippe.

Ecouter du Rachmaninov en tournant le dos aux fenêtres giflées par la pluie.

Abracadabra la pluie s’en va !

Rachmaninov : étude-tableau Op.33.N°4

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Il y a des jours comme ça. Des jours où tout va bien. Tiens, par exemple, aujourd’hui.

C’est dimanche ! Un dimanche ensoleillé, comme je les aime, avec déjeuner au jardin, à l’ombre du tilleul.

Mais aujourd’hui ne fut pas simplement un jour où tout va bien.

Le soleil, le repas sous le tilleul, la chine du matin chez les brocanteurs, tout ça, allez ouste ! Balayés, évincés, éliminés, effacés, relégués loin derrière par une heure de pur bonheur d’où je suis ressortie groggy et  enchantée à la fois.

Un dimanche aux jardins,  deuxième édition de cet évènement en plein air, organisé par la ville. Le concept : lectures publiques dans les jardins (municipaux) de l’Evêché.

L’an passé, l’invité fut un Michael Lonsdale peu inspiré.

Chat échaudé craint l’eau froide et quoique l’édition de cette année annonçât un autre nom prestigieux (Daniel Mesguich) ce n’est pas sans quelques réserves que je résolus d’honorer de ma présence cette nouvelle manifestation de la culture dans la cité.

J’arrive. Mauvais présage. Le décor n’a pas changé. Devant l’Orangerie, la même estrade coiffée du même auvent à peine défraichi. Dans les allées, sur les pelouses, les agents municipaux ont installé, en plein soleil, les mêmes bottes de foin destinées à recevoir les fesses d’un public que l’expérience 2010 annonçait nombreux.

A gauche, sur le faîte du mur qui court le long du jardin botanique, des spectateurs prévoyants ont squatté les rares emplacements ombragés. Pour moi, ce sera donc le foin dans le cagnard ; ce qui ne contribue pas à me mettre dans les meilleures dispositions. « Ça a intérêt à être bien ! »

Un coup d’œil au programme : 17 heures, Daniel Mesguich. 17 heures sonnent au clocher de la cathédrale. Remous, murmures, je relève la tête, Daniel Mesguich s’avance sous l’auvent (puis légèrement au-delà puisqu’on a sournoisement placé son micro en plein soleil). Il est ponctuel, c’est un bon point pour lui.

Daniel Mesguich prononce quelques mots d’introduction, remercie le public de sa présence et égrène la liste des auteurs qu’il a choisi de lire : Baudelaire, Kafka, Aragon, Borges, Roland Dubillard, Pierre Debauche, Eric Chevillard, Jean-Michel Ribes, etc. Il tient entre ses mains une cinquantaine de feuillets (sur lesquels –soit dit en passant– il ne jettera que de vagues coups d’œil).

C’est parti. Et là, le choc, le miracle, ou alors, tout simplement le talent. Il ne lui faudra que quelques secondes pour balayer tous mes a priori et pour tout emporter : les jardins, le soleil et sous les fesses, « les tresses d’épis où fermentaient les grains ». Il n’y a plus rien. Plus que cette voix, puissante, magique, plus que le rythme et la force des mots et des  textes qui s’enchaînent, se bousculent, se répondent, s’interpellent.

Une heure plus tard, c’est fini. On s’extrait pesamment de nos sièges de paille. On s’époussette, d’un geste énergique, pour chasser les brins qui s’accrochent encore aux vêtements. Quant à se défaire de l’émotion, ce ne sera ni facile ni vraiment urgent.

Un extrait vidéo : la fable du fabuliste incertain de Roland Dubillard.

et un extrait des rendez-vous d’Aragon à lire ci-dessous et à entendre ici :

Tu m’as quitté par toutes les portes
Tu m’as laissé dans tous les déserts

Je t’ai cherchée à l’aube et je t’ai perdue à midi
Tu n’étais nulle part où j’arrive
Qui saurait dire le Sahara d’une chambre sans toi
La foule d’un dimanche où rien ne te ressemble
Un jour plus vide que vers la mer la jetée
Le silence où j’appelle et tu ne réponds pas

Tu m’as quitté présente immobile
Tu m’as quitté partout tu m’as quitté des yeux
Du cœur des songes
Tu m’as quitté comme une phrase inachevée
Un objet par hasard une chose une chaise
Une villégiature à la fin de l’été
Une carte-postale dans un tiroir
Je suis tombé de toi toute la vie au moindre geste

(…)

Tout ce que je ne puis à haute voix te dire
Ce blé secret dans moi qui se flétrit montré
Ma parole n’est qu’une excuse à l’impudeur de l’âme
Un masque où le regard trahit seul sa profonde contrée

(…)

La vie est pleine ainsi de portes battantes
De projets sans toiture et de marches manquées

Il me semble aussi que quelque chose à la craie
Indiquait au plafond d’où viendrait la lumière
C’était un appartement que nous n’avons pas loué
(…)

Et nous ne sommes pas allés ensemble à Grenade
Je n’étais pas avec toi dans les îles du corail
Et tous les films à la dernière minute qu’on renonce à voir
Je t’ai attendue à tous les coins de vie
Rendez-vous rendez-vous manqués
Combien de fois suis-je sorti dans l’escalier
Pour te voir qui fait halte entre les deux étages
Or ce n’était pas toi

(…)

Ainsi je t’aurai toute la vie attendue
Présente absente ailleurs ici proche et lointaine
Je t’aurai mendié de silence je t’aurai
Mangé de paroles comme une orange
J’aurai perdu ta trace une fois la nuit
Une fois le jour perdu ta main prise dans l’ombre
Ta merveilleuse main d’enfant enfui.
Ainsi je t’aurai toute la vie attendue

(…)

J’arrive au bout de ce voyage au moins
Pourtant toujours semblable cœur sanglot semblable
J’écoute en arrière de moi sur la route
Ce bruit de toi blessé ce bruit bleu ce bruit blanc

Ce bruit bluté de blé ce bruit redoublé
De toi où nous fûmes
Et je te tends encore une fois mes bras de fumée.

Aragon

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